Ce que le jour doit à la nuit, de Yasmina Khadra
Encore une très belle lecture, avec cet auteur qui a beaucoup fait parler de lui, et que je découvre à peine!
J'ai commencé ce récit il y a quelques jours, mais je me suis arrêtée, sentant qu'il me faudrait avoir du temps devant moi pour le lire d'un seul coup et sentir ainsi au mieux la frénésie d'une Algérie en pleine mutation, en plein bouillonnement.
Ce que le jour doit à la nuit, titre au symbolisme douloureux, commence dans les années 1930 et s'arrête en 2008, s'attardant surtout sur les années 1930-1962, durant lesquelles le peuple algérien a vu le monde moderne s'introduire, de gré ou de force, sur son territoire. Cela se traduit d'abord par une opposition forte entre les gens issus des campagnes, dont le jeune narrateur Younes et ses parents, et ceux qui vivent à la ville et qui ont eu accès à une forme d'instruction plus ou moins poussée. Le roman débute en effet par la déchéance terrifiante du père du narrateur, dépossédé de la terre de ses ancêtres et incapable de s'adapter aux nouvelles donnes sociales et urbaines, contrairement à son frère Mahi, devenu pharmacien et marié à une Française, Germaine. Ce couple, incarnant une forme de modernité, prendra le jeune Younès sous son aile et lui fera découvrir les joies d'une vie plus aisée et instruite. Mais à partir de là, Younès, que sa tante appelle Jonas, commence à perdre ses repères, tout comme le peuple qui l'entoure, et la suite du roman sera une incessante recherche de stabilité, d'identité personnelle, représentative de l'identité que le pays même cherche à se construire.
De la découverte de l'effervescence des villes modernes à la terreur de la guerre d'Algérie, en passant par le débarquement des Américains pendant la 2nde guerre mondiale, le lecteur découvre, à travers l'histoire personnelle de Younès, les préoccupations, les peurs, les interrogations des Algériens de l'époque, mais également de ceux que l'on appelle les Pieds-Noirs et qui ont souffert de cette rupture brutale avec un pays qu'ils considéraient du plus profond de leur coeur comme leur patrie. Le lecteur assiste, impuissant, à la montée de la violence, à ce moment où "l'Algérie algérienne naissait au forceps dans une crue de larmes et de sang." (p.384)
En parallèle, de beaux moments d'humanité demeurent et rendent la lecture moins douloureuse : les rapports tendres et bienveillants entre Younès et ses parents d'adoption, la découverte d'une amitié forte et durable, malgré les différences de nationalité, et, bien sûr, la survenue de l'amour. Sur ce chapitre, je nuancerais légèrement mon avis, ayant trouvé que la romance était trop... romanesque et jurait un peu avec le reste, mais c'est un détail...
Dans l'ensemble, ça a été un très bon moment et une entrée très instructive dans le pays et l'époque, et je pense que ma découverte de Yasmina Khadra ne s'arrêtera pas là !