L'Adversaire, d'Emmanuel Carrère
Après la découverte de l'auteur par la lecture de l'admirable D'autres vies que la mienne, dans le cadre du challenge "Découvrons un auteur" proposé par Pimprenelle, j'ai voulu poursuivre ma route avec Emmanuel Carrère... Me revoilà donc après avoir eu entre les mains L'Adversaire, à propos duquel j'avais lu des billets très intriguants.
Par son thème et son style, ce récit est très différent du bouleversant D'autres vies que la mienne. Témoignage simple, efficace et la plupart du temps objectif, L'Adversaire ouvre une porte dérangeante en même temps que fascinante, celle qui nous donne accès à la vie d'un homme ordinaire, que le mensonge et l'absence de prise de conscience de la réalité ont conduit au meurtre de sa famille entière, femme, enfants, parents. Un récit dérangeant, parce qu'il s'agit d'une histoire réelle, celle de Jean-Claude Romand, arrêté pour meurtres en 1993, et un récit fascinant, parce qu'il retrace le parcours incompréhensible qui a conduit cet homme à construire toute sa vie autour d'un mensonge qui finira par l'empoisonner et par en faire un criminel, fascinant parce que jusqu'au bout, le lecteur cherche lui-même à comprendre, à se rassurer en se disant qu'il y a forcément une explication à cette horreur, pour finalement ne pas en trouver.
Le talent d'Emmanuel Carrère se retrouve une nouvelle fois dans ce récit : adoptant le temps de quelques pages le point de vue du meilleur ami de Romand, l'auteur nous projette crûment au moment de la découverte du crime, pour ensuite reprendre son propre point de vue, plus distancié, plus analytique, celui de l'écrivain qui a éprouvé le besoin d'écrire sur ce crime, de se documenter, de recueillir des témoignages et même d'entrer en contact avec le criminel. C'est l'ensemble de toutes ces démarches que Carrère nous livre dans L'Adversaire, et c'est cet ensemble même qui fait la force du récit : témoignages des proches qui ont survécu, parcours du criminel de son enfance à son arrestation, retranscription des échanges au moment du procès, récit circonstancié des meurtres, et même évocation de la vie de Morand après sa condamnation à perpétuité. Le tout, sous le signe du mensonge, de la duplicité, qui conduisent le lecteur à se demander, à mesure que les couches du drame sont pelées, "comment a-t-il pu en arriver là? comment est-ce possible?"
Un récit vraiment perturbant, donc, mais que j'ai lu pratiquement d'une traite, et qui confirme mon goût pour les romans de Carrère!
Pour d'autres avis sur L'Adversaire ou sur d'autres oeuvres d'Emmanuel Carrère, rendez-vous chez Pimprenelle!