Si c'est un homme, de Primo Levi
"Vous qui vivez en toute quiétude
Bien au chaud dans vos maisons,
Vous qui trouvez le soir en rentrant
La table mise et des visages amis,
Considérez si c'est un homme
Que celui qui peine dans la boue,
Qui ne connaît pas de repos,
Qui se bat pour un quignon de pain,
Qui meurt pour un oui ou pour un non.
Considérez si c'est une femme
Que celle qui a perdu son nom et ses cheveux
Et jusqu'à la force de se souvenir,
Les yeux vides et le sein froid
Comme une grenouille en hiver.
N'oubliez pas que cela fut,
Non, ne l'oubliez pas :
Gravez ces mots dans votre cœur,
Pensez-y chez vous, dans la rue,
En vous couchant, en vous levant ;
Répétez-les à vos enfants.
Ou que votre maison s'écroule,
Que la maladie vous accable,
Que vos enfants se détournent de vous." (Primo Levi)
Tels sont les mots placés au début de cet ouvrage autobiographique de Primo Levi. Des mots simples, mais puissamment évocateurs, puissamment émouvants et puissamment dérangeants. A eux seuls, ils résument très bien la visée de ce récit, écrit à la fois pour évacuer des souvenirs oppressants et pour forcer les lecteurs à se rappeler les atrocités vécues dans les camps de concentration.
Décembre 1943, Primo Levi, résistant italien, est arrêté et déporté dans un Lager, un de ces camps dont la morbide réputation a traversé les frontières. Là, le lecteur découvre en même temps que les autres prisonniers italiens les règles de vie du Lager : dépouillement de tout ce qui fait leur identité, travail forcé, humiliations, violences, faim, froid, peur… A mesure qu’il pénètre dans cette réalité, le personnage perd de son humanité : simple numéro parmi tant d’autres, il doit se battre pour survivre, établir des stratégies pour avoir plus de nourriture, avoir les meilleures chaussures, voler même, se réjouir de ne pas être sélectionné par les Allemands pour passer dans les chambres à gaz, au détriment d’autres prisonniers. Lutte pour la survie et lutte pour conserver une dignité d’homme, deux combats rendus antagonistes dans ces camps.
Heureusement pour Primo Levi, la fin de la guerre lui a permis de sortir vivant de ces camps et de nous apporter ce témoignage bouleversant parce que concret et parce que dénué de toute volonté de condamner ou de se révolter contre un sort bien injuste.
Vous l’aurez compris, ce récit est dur, terrifiant car il nous confronte aux extrémités de l’être humain : ceux qui, dominateurs, avilissent leurs semblables et ceux qui, victimes, sont réduits à néant.
Un témoignage digne, dans tous les sens du terme, mais sans doute un peu trop rude pour moi…